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TOBIAS ELtERN GRuPPE
Dysphorie de genre
Le changement de genre chez les mineurs fait débat
Face à l’explosion des demandes, le débat monte en Suisse romande. On y cite souvent le modèle suédois, mais quel est-il exactement? En fait, des hôpitaux traversent un moment de doute.
Alors que le Canton de Vaud a décidé cette semaine de mieux accompagner à l’école des élèves transgenres ou non binaires, il soulève une tout autre question: la prise en charge médicale de ceux et celles qui veulent changer d’identité. En Suède, le débat est controversé.
Sametti est devenue un visage des transgenres suédois. Dans un documentaire paru en 2019, «The Trans Train», elle raconte son souhait de devenir un garçon, profondément ancré en elle dès l’enfance. Elle entame un traitement hormonal et se fait retirer les seins. «Je pensais qu’on allait régler mon problème, que j’allais me sentir mieux.» Mais aujourd’hui, elle regrette sa démarche, veut entamer une détransition, bien qu’il soit impossible de revenir en arrière sur certains points. «Ma voix restera masculine, mes seins et tout ce qu’ils m’ont enlevé, cela ne reviendra plus.»
La Suède a été le premier pays au monde à reconnaître la dysphorie de genres, ce mal-être provoqué par l’inadéquation entre son sexe anatomique et son identité de genre. Les médecins accompagnent les patients en prescrivant des bloqueurs de puberté et des injections d’hormones sexuelles. Certains ont recours plus tard à la chirurgie génitale.
Si l’hôpital Karolinska, à Stockholm, a revu en mai sa politique, c’est parce que les praticiens s’alarment de la hausse des demandes en vingt ans. De douze personnes de moins de 25 ans diagnostiquées avec une dysphorie de genre en 2001, les statistiques sont passées à près de 1900 en 2018. Avec un nombre plus important de filles souhaitant changer de genre.
Consentement trop rapide?
Le documentaire interroge sur un consentement trop rapide des médecins suédois à la demande de ces jeunes, dont la dysphorie cache souvent d’autres maladies psychiques (dépression, anorexie, syndromes post-traumatiques, autisme). Face à une réelle souffrance et aux risques de suicide très élevés dans cette catégorie de patients, il soulève la question de l’urgence et de l’efficacité de ces traitements pour leur bien-être. Cette balance bénéfice-risque a conduit l’hôpital Karolinska, suivi d’autres établissements, à arrêter la thérapie hormonale pour les moins de 18 ans.
«Les nouvelles technologies médicales, comme les bloqueurs de puberté
et les hormones de substitution, permettent aujourd’hui de transformer les corps de manière inédite.»
Cynthia Kraus, maître d’enseignement et de recherche
à l’Institut des sciences sociales de l’UNIL
«La décision de ces hôpitaux suédois ne reflète pas la position de la majorité, met en garde Denise Medico, membre du conseil scientifique de la WAS (World Association for Sexual Health), faîtière mondiale des professionnels de la santé sexuelle. Les standards de soins mondiaux dans ce domaine ont, au contraire, évolué. L’objectif des bloqueurs de puberté, qui sont réversibles [note de l'AMQG, la réversibilité n'a jamais été prouvée, et le 99% des jeunes sous bloqueurs entament une transition médicale], est avant tout de se donner du temps et de passer cette période très difficile de l’adolescence.»
Se donner le temps
Mais comment déterminer qu’un enfant en questionnement, qui n’a par exemple pas encore eu de relation sexuelle, a bien compris les conséquences de sa transformation, notamment sur des questions comme la fertilité? «Les discussions se polarisent en gros autour de deux conceptions de l’identité de genre, explique la philosophe Cynthia Kraus, maître d’enseignement et de recherche à l’Institut des sciences sociales de l’Université de Lausanne: si l’on soutient que l’on naît transgenre, c’est-à-dire avec un cerveau de sexe opposé à son corps, intervenir rapidement s’impose même si ce n’est pas une maladie [note de l'AMQG: cette assertion non-scientifique devrait être questionnée par la journaliste. Qu'est-ce qu'un "cerveau de sexe opposé"?]. En revanche, si l’on défend une conception psychosexuelle et pathologisante de la dysphorie de genre (ndlr: on la considère comme une maladie), le premier traitement, ce sont les psychothérapies.»
«S’il nous arrive d’être convaincus très rapidement par certaines demandes,
nous revoyons d’autres personnes parfois pendant des mois avant de franchir le pas du traitement.»
Friedrich Stiefel, responsable de la partie psychiatrie et psychothérapie adulte
de la consultation interdisciplinaire de dysphorie de genre au CHUV
Pour Friedrich Stiefel, responsable de la partie psychiatrie et psychothérapie adulte de la consultation interdisciplinaire de dysphorie de genre au CHUV, il est essentiel de bien poser l’indication avant de proposer des traitements. «S’il nous arrive d’être convaincus très rapidement par certaines demandes, nous revoyons d’autres personnes parfois pendant des mois avant de franchir le pas du traitement. Nous avons aussi décidé, très rarement, de ne pas entrer en matière. Nous cheminons avec les familles. Et parmi nos patients, nous n’avons personne qui a regretté sa transition.[note de l'AMQG: les détransitionneurs ne retournent généralement pas chez leur clinicien. De plus, le CHUV ne compile pas de statistiques à notre connaissance.]»
Effet de mode?
Le médecin, qui suit aussi les jeunes adultes après leur traitement hormonal commencé à l’adolescence, constate lui aussi une hausse des demandes, d’une quarantaine en 2020 à plus d’une centaine cette année. Mais il ne partage pas l’inquiétude de certains confrères qui craignent un effet de contagion. «Je pense que la médiatisation des transgenres les a rendus plus visibles. Nos patients nous disent souvent qu’ils ont osé venir nous voir parce qu’on en parle.»
«Beaucoup de jeunes ne cherchent pas d’accompagnement médical,
mais juste la reconnaissance de leur choix.»
Denise Medico, membre du conseil scientifique de la World Association for Sexual Health
[note de l'AMQG: avons-nous des chiffres?]
Cynthia Kraus trouve elle aussi réducteur de parler d’effet de mode qui dévalue le phénomène. «Nous vivons dans une société où l’injonction à être soi-même s’accompagne d’un nouveau vocabulaire pour parler de la vérité de soi: les identités de genre. Les nouvelles technologies médicales, comme les bloqueurs de puberté et les hormones de substitution, permettent aujourd’hui de transformer les corps de manière inédite. Cela ouvre des possibilités d’existence, mais il faut aussi élargir les revendications à des luttes plus politiques pour l’égalité.»
Le parcours de transition n’est pas linéaire, confirme Denise Medico, pour qui la société vit une réelle révolution autour du genre. «Aujourd’hui, les jeunes ne cherchent pas l’ultime étape de l’opération. Beaucoup d’ailleurs ne cherchent pas d’accompagnement médical, mais juste la reconnaissance de leur choix. Je pense qu’avec plus d’acceptation dans la société, on va aller vers moins de souffrance et encore moins de demandes de chirurgie.» [note de l'AMQG: avons-nous des chiffres qui confirment ces dires? Les adolescent-e-s parlent tous d'hormones et de chirurgie pour atteindre leur "moi authentique"].
Virginie Lenk est journaliste à la rubrique internationale depuis 2019, spécialiste de l'environnement. Elle a travaillé auparavant à la RTS.